« Ne craignez-vous pas d’être remplacé par Google Traduction ? »
À sa grande joie, tout traducteur invité à un dîner depuis l’avènement de Google Traduction et du système SYSTRAN s’est vu poser cette question. J’y ai moi-même été confrontée deux fois ce mois-ci (un record personnel !), ce qui m’a amenée à penser : « Comme dans beaucoup d’autres domaines, ne devrions-nous pas nous préparer à un tournant majeur dans notre secteur ? ». Peu de traducteurs professionnels estiment que les outils de traduction automatique actuels sont à la hauteur, mais ces outils ont connu de réelles avancées ces dernières années, avec l’intégration de la traduction automatique « intelligente » dans les logiciels de traduction professionnels, tels que la version 2017 de SDL Trados Studio qui vient de sortir. Nous ne serons probablement jamais complètement remplacés, mais il va sûrement falloir partager notre bureau (virtuel) avec de nouveaux collègues numériques.
La traduction est un processus décisionnel complexe : les choix effectués doivent être étayés par un raisonnement solide, des recherches, de la déduction et doivent être pertinents. Ce qui inquiète la plupart des traducteurs concernant la traduction automatique, c’est l’élimination de cette étape dans le processus de traduction, en le limitant à une simple combinaison d’algorithmes qui, bien qu’ils soient capables de produire des résultats semblables à une traduction humaine, ne tiennent pas compte de l’ensemble des aspects linguistiques et extralinguistiques que les traducteurs professionnels doivent garder à l’esprit. Sans compter que, si la traduction automatique devait prendre le pas sur la traduction humaine, cela poserait d’importants problèmes éthiques en matière de responsabilité, de confidentialité et d’excès de confiance, pour n’en citer que quelques-uns.
Cela dit, les traducteurs n’auront sûrement pas d’autre choix que d’accepter un certain degré de « symbiose » technologique ; il en va de leur survie. Nous avons souhaité mener une expérience sur les compétences actuelles de nos futurs collègues potentiels (que j’aime à surnommer les « Tradurobots ») dont vous trouverez les résultats et l’analyse ci-après.
Traduction automatique d’un paragraphe de commentaire financier
Texte source : « 2016 will be remembered for political upsets, with the UK vote to leave the European Union and the election of Donald Trump highlighting voter dissatisfaction with mainstream politicians and parties. For investors, it will probably also go down as the year when global deflation fears came to an end, long-term interest rates finally started to rise, and central banks stopped being the “only game in town”. »
Google Traduction : « 2016 sera rappelé pour des bouleversements politiques, avec le vote du Royaume-Uni de quitter l’Union européenne et l’élection de Donald Trump mettant en évidence l’insatisfaction des électeurs avec les politiciens et les partis politiques [mainstream ?]. Pour les investisseurs, ce sera probablement aussi l’année où les craintes de déflation mondiale ont pris fin, les taux d’intérêt à long terme ont finalement commencé à augmenter, et les banques centrales ont cessé d’être le «seul jeu en ville». »
Bing Traduction : « 2016 se souviendra de bouleversements politiques, avec le vote de UK de quitter l’Union européenne et l’élection de Donald Trump en soulignant le mécontentement des électeurs avec les politiciens et les partis [mainstream ?]. Pour les investisseurs, il sera sans doute également descendre l’année quand global, craintes de déflation a pris fin, les taux d’intérêt à long terme a finalement commencé à augmenter et les banques centrales a cessé d’être « le seul jeu en ville ». »
Babelfish : « 2016 se souviendra pour les bouleversements politiques, avec le vote de UK de quitter l’Union européenne et l’élection de Donald Trump en soulignant le mécontentement des électeurs avec les politiciens et les parties [mainstream ?]. Pour les investisseurs, il sera sans doute également descendre l’année quand global, craintes de déflation a pris fin, les taux d’intérêt à long terme a finalement commencé à augmenter et [les] banques centrales a cessé d’être le « seul jeu en ville ». »
Analyse des résultats
Dans les trois résultats de traduction ci-dessus, nous avons souligné les passages incorrects (traits droits) ou approximatifs (vaguelettes).
De manière générale, nous pouvons observer que Google Traduction tire son épingle du jeu par rapport à ses homologues avec une traduction moins littérale et comportant moins d’erreurs.
Reste néanmoins que nos trois « Tradurobots » ont rencontré les mêmes problèmes de traduction et sont tombés dans les mêmes pièges, ce qui n’est pas forcément le cas en présence de traduction humaine ; en effet, la traduction est une activité intellectuelle qui dépend de divers facteurs tels que les compétences, les connaissances, l’expérience, la fatigue, le stress, etc.
Analysons à présent les principales erreurs de nos collègues virtuels :
- « 2016 will be remembered» : dans les trois cas, le sens figuré n’a pas été identifié. Google se démarque en ayant retranscrit la voie passive, mais avec une traduction littérale. Ici, il faut opter soit pour la voie active (ex. « On se souviendra de 2016 ») ou pour une expression idiomatique (ex. « 2016 restera dans les mémoires »).
- « with the UK vote to leave» : carton rouge pour Bing et Babelfish qui n’ont pas su traduire « UK » ! Les trois ont ensuite opté pour une tournure incorrecte puisqu’on ne dit pas « le vote de quitter ». En effet, il faut passer d’une construction verbale en anglais à une construction nominale en français (ex. « le vote du Royaume-Uni en faveur d’une sortie »).
- « voter dissatisfaction with» : que l’on opte pour « insatisfaction » ou « mécontentement », on ne peut pas faire suivre ces termes de la conjonction « avec » ; il faut dire « l’insatisfaction/le mécontentement des électeurs à l’égard de/vis-à-vis de ».
- « politicians» : il ne s’agit pas d’une faute très grave ici mais il faut savoir que « politicien » est un terme plutôt péjoratif en français. Si l’on veut rester neutre, mieux vaut opter pour « homme politique ».
- « mainstream» : nos trois amis ont fait l’impasse sur ce terme qui ne doit pas exister dans leur base de données ; rappelons que les traducteurs en chair et en os ne sont pas des dictionnaires ambulants, mais ils ont la capacité d’effectuer des recherches sur les termes et concepts qu’ils ne connaissent pas ! Dans ce contexte, ce terme signifie « traditionnel » (à noter que Babelfish aggrave son cas en confondant un parti (politique) et une partie).
- « it will probably also go down as the year when global deflation fears» : là, nous sommes impressionnés par Google dont la traduction est tout à fait correcte, tandis que ses homologues, disons-le, se cassent la figure. L’expression « go down as » leur a donné du fil à retordre puisqu’ils nous proposent une belle traduction littérale avec « descendre » sans tenir aucunement compte du contexte, et la succession de deux adjectifs dans l’expression « global deflation fears » les a laissés perplexes : ils ont donc décidé de n’en traduire qu’un sur les deux, avec un « global » qui traîne au milieu de la phrase…
- « the “only game in town”» : ah, la cerise sur le gâteau, le jeu de mots ! Le piège n’a épargné personne, traduction littérale pour tout le monde… sauf pour nous, qui proposons « la seule option possible » J
À noter, un petit problème de ponctuation chez Google (une virgule avant « et » et pas d’espaces insécables avant et après les guillemets) et un gros problème de conjugaison chez Bing et Babelfish qui n’accordent pas l’auxiliaire « avoir » avec les sujets au pluriel !
Conclusion de cette expérience, les Tradurobots font état de six fautes graves sur un paragraphe d’à peine 70 mots sources ! Bing et Babelfish utilisent clairement des algorithmes et des bases de données très similaires, mais loin d’être au point… Quant à Google, nous avons été assez épatés sur les traductions proposées après avoir fait plusieurs tests. La terminologie spécifique est généralement bien maîtrisée et le moteur est parfois capable de proposer des traductions idiomatiques.
Après cette expérience, notre utilité n’est certainement plus à prouver, mais il convient de rester attentif aux évolutions de ces technologies qui « apprennent » très vite car il y a fort à parier que nous soyons effectivement amenés à collaborer avec cette autre forme d’intelligence dans un avenir proche.