Les Traducteurs savent-ils tout traduire ?
On s’imagine souvent qu’être traducteur professionnel, c’est connaître tous les mots du dictionnaire de plusieurs langues et être capable de faire le parallèle entre deux d’entre elles. Si vous lisez nos articles, vous aurez sans doute compris que c’est une idée fausse, et que les subtilités terminologiques d’un secteur professionnel vont au-delà d’un « bilinguisme » pur.
Les traducteurs eux-mêmes aiment à penser qu’ils peuvent tout traduire, moyennant peut-être un peu de recherches ou d’aide extérieure… Mais dans la réalité, ils sont confrontés à des obstacles coriaces, et c’est de cela que nous souhaitons vous parler aujourd’hui.
Les « intraduisibles » ? Pas de problème
La presse généraliste s’amuse régulièrement à recenser des listes de mots dits « intraduisibles », car ils désignent des concepts qui n’ont pas été nommés dans d’autres langues étrangères. Notons le célèbre Sehnsucht allemand, qui désigne un mélange de nostalgie et de désir ardent pour quelqu’un ou quelque chose qui nous manque, ou le fait que le reflet de la lune sur l’eau ne possède un terme propre qu’en turc (yakamoz) et en suédois (Mångata) etc.
Ces réalités linguistiques relèvent toutefois de l’anecdote pour le traducteur, car elles renvoient souvent à des concepts poétiques ou émotionnels que l’on rencontre rarement dans des rapports financiers. Et par ailleurs, ce n’est pas parce qu’il n’existe pas un terme équivalent qu’il n’est pas possible de traduire, il suffira de créer une périphrase, ou d’associer un nom, un adjectif, un adverbe pertinent dans un contexte donné pour rendre l’idée générale. Ce n’est donc pas vraiment l’objet de cet article.
Les semi-noms propres ? Pitié, non…
Pardonnez-nous ce néologisme, mais c’est un raccourci pratique pour désigner tous ces noms créés pour une occasion spéciale, par exemple des noms de récompenses lors d’une cérémonie de remise de prix, voire le nom de la cérémonie (Best Business Awards, Medium Contact Centre of the Year, Gold Trusted Merchant for 2018 …). On peut en dire autant des noms de diplômes (Bachelor of Business Administration, MA in Modern Languages…). Et certaines institutions officielles d’échelle nationale n’ont pas d’équivalent dans d’autres pays, par exemple des ministères, des organisations publiques, etc. Ici, la difficulté de traduction ne réside pas dans la compréhension, mais dans le choix de traduction.
Faut-il conserver ce terme dans sa langue source, car il fait référence à quelque chose d’unique et de précis (comme pour un nom propre) ? Ou bien faut-il proposer une traduction libre, tout en sachant qu’on prend le risque de perdre la référence ? Par exemple, il n’existe pas en France de « licence d’administration d’entreprise », donc on peut se demander si le lectorat francophone comprendra bien la nature du diplôme américain correspondant en lisant cette traduction de Bachelor of business administration. On peut également proposer une traduction libre et indiquer le texte d’origine entre parenthèses, ou ajouter une note de bas de page pour donner plus de contexte au lecteur cible, mais cela alourdit considérablement la lecture et ne se prête pas à tous les documents (imaginez un CV traduit sur ce modèle…).
En fait, il n’y a pas de bonne réponse, chacun aura sa préférence sur la question, et le contexte peut également dicter un choix plutôt qu’un autre. Si le commanditaire de la traduction a une solution de prédilection, il soulagera le traducteur d’un grand poids en le lui précisant. À défaut, le traducteur se retrouve comme l’âne de Buridan à hésiter entre plusieurs solutions toutes valables sans être idéales.
La terminologie d’entreprise ? À l’aide !
Au quotidien, c’est sans doute ce cas de figure qui fait le plus suer les traducteurs. Si vous travaillez depuis longtemps dans la même entreprise, vous n’avez peut-être pas conscience de la créativité que cette dernière a mise en œuvre pour nommer les différents services et équipes qui la composent. L’équipe informatique ? Connaît pas. Aaaah, vous voulez parler du Support IT ? Ah et puis, chez nous, ce sont les managers qui supervisent les responsables, mais dans notre succursale aux États-Unis, les heads of… dirigent les leads.
Vous avez compris le tableau… Il n’existe aucune règle prévalente, chaque société nomme ses entités comme elle le souhaite, et dans le cas d’entreprises multinationales, certains harmonisent cette terminologie, tandis que d’autres conservent des spécificités dans chaque pays, voire dans chaque succursale. Pour les traductions dont l’anglais est la source, le travail est rendu d’autant plus difficile qu’une anglicisation rampante de la terminologie d’entreprise fait toujours douter le traducteur : faut-il traduire le nom de cette entité ou le conservent-ils en anglais ? Et s’il faut le traduire, cela peut signifier que les entités de l’entreprise sont déjà nommées en français, mais il y a peu de chance qu’une traduction libre corresponde pile-poil à la nomenclature officielle. À l’inverse, si dans un texte français, on lit qu’un employé a le titre de « Head of Global Sales », on sait que l’entreprise fait le choix de l’anglais pour nommer ses entités dans toutes les langues et le travail est fait !
Dans le doute, on choisit souvent de traduire les noms d’équipes, de postes, de départements, de projets, d’initiatives et autres programmes. Mais la première difficulté réside parfois dans la compréhension, car sans connaître une entreprise de l’intérieur, il n’est pas toujours aisé de savoir si un terme désigne un service, une solution ou une initiative de l’entreprise (ce qui peut faire une grande différence pour la traduction). Il peut également être difficile de comprendre de quoi il s’agit, car ces termes sont souvent particulièrement condensés et abstraits à la fois, et si le contexte n’apporte pas d’informations complémentaires, le traducteur reste parfois bras ballants avec un fort sentiment d’impuissance face à des concepts comme Data Business.
Pour ces problématiques, le client est le seul à pouvoir sauver le traducteur en lui apportant ses connaissances d’insider sur la nomenclature de sa société. Nous vous invitons donc, dès lors que vous confiez une traduction qui contient de la terminologie d’entreprise, à donner un maximum de renseignements sur ce qui est attendu à ce sujet.
Vous l’aurez compris, en réalité, rien n’est intraduisible et il existe toujours des solutions. La réelle difficulté consiste, dans les cas exposés, à trouver la solution la mieux adaptée à un contexte et à des préférences spécifiques. Nous en revenons alors à notre article sur les questions que les traducteurs posent à leurs clients, car une communication efficace entre ces deux parties est la garantie d’une qualité finale de la traduction et de la satisfaction du commanditaire !